Mon ami Carl est un artiste.
Pas un artiste superficiel comme on en voit si souvent de nos jours mais un artiste de l’âme qui sculpte et peint ses œuvres avec son cœur et ses tripes. C’est aussi mon modèle préféré parce qu’il comprend mon besoin de chercher plus loin que la surface du portrait. J’ai photographié Carl des centaines de fois. J’ai réussi à quelques reprises à voir cette âme d’artiste qui flotte à fleur de peau sur ce visage tanné par le soleil.
«The Unforgiven» en est un bon exemple.
Cette photo représente le moment exact où j’ai réalisé l’importance de laisser vivre son sujet. Le libérer des contraintes de la pause tout en gardant le contrôle sur notre vision artistique. Ou tout simplement, être prêt pour les «entre-deux». C’est là que j’ai commencé à vraiment observer mes sujets. Scruter les moindres mouvements et les moindres changements dans le regard. Le moment capté sur le vif est toujours plus honnête que le moment répété par la suite. Je vous explique .. Mettons que mon sujet fait un mouvement et se place d’une façon intéressante mais je ne suis pas prêt à le capter. Je lui redemande donc de refaire ce mouvement afin de pouvoir capter ce que j’avais entrevu. Parfois ça fonctionne mais c’est rarement comme le mouvement original. Donc moins «honnête» si on peut dire. Lors d’un mariage où le prêtre n’aimait pas les photographes et ne voulait pas que je photographie l’échange des anneaux et le baiser, j’ai dû reprendre ces moments importants après la cérémonie. Il va sans dire que le résultat n’était pas le même que si j’aurais pu les photographier lors du vrai moment, l’émotion n’y étant plus la même.
Sur cette photo qui fut prise dans la grange pas trop loin d’une grande porte ouverte sur un après-midi nuageux, on peut voir le regard de Carl qui semble perdu dans son univers. On peut sentir l’angoisse pas trop loin derrière ces yeux inquiets et deviner la constante recherche d’une réponse élusive. En fait, et en toute simplicité, c’est un «entre-deux», c’est-à-dire qu’il y a une photo «posée» qui à été prise une seconde avant et une autre une seconde après. Presqu’un accident mais pas vraiment.
Vous me direz qu’on pourrait tout simplement utiliser le mode rafale et laisser aller. Mais non, comme j’utilise toujours le focus manuel lorsque je travaille sur mes projets personnels, j’utilise aussi la méthode simple de déclenchement unique. Le mode rafale est un peu dérangeant pour le modèle et n’est pas associé au portrait mais plutôt à la photographie sportive ou d’événements.
Mais tous ces détails techniques, c’est comme la conduite automobile.
Un coup qu’on a maîtrisé la base, on l’oublie et on se concentre sur la destination. Et la destination pour moi, c’est la réussite d’un portrait qui va plus loin que la surface du visage. Qui donne envie d’en savoir plus sur l’histoire de ce personnage tout en ayant l’impression de tout connaître de lui.
Le traitement noir et blanc est un naturel pour cette photo qui demande la simplicité. J’ai aussi rajouté un peu de neige pour amplifier l’ambiance un peu angoissante.
«The Unforgiven» m’a aidé à remporter le titre de maître photographe de l’année au Canada en 2015 avec les PPOC (Professional Photographers of Canada) et une collection permanente nord-américaine au PPA (Professional Photographers of America). La version couleur a remporté une première place au super-circuit de la SPPQ (Société de la promotion de la photographie du Québec) en 2021.
Voici un reportage fait par la fabrique culturelle réalisé à la ferme de Carl : https://www.lafabriqueculturelle.tv/capsules/10217/claude-brazeau-dans-la-bulle-du-portraitiste
Visitez ma galerie de portrait signature ici.

Version originale en couleur.
